Retard de pose d'une sonde nasogastrique d'aspiration sur occlusion intestinale postopératoire

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Retard de pose d'une sonde nasogastrique d'aspiration sur occlusion intestinale postopératoire

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  • Une équipe médicale pratique une réanimation cardio-respiratoire sur un patient âgé - La Prévention Médicale

Devant tout syndrome abdominal aigu évoquant une occlusion intestinale, notamment en cas de nausées et/ou vomissements spontanés ou provoqués, il convient de poser, en priorité, une sonde nasogastrique. Cela permet d’éviter toute inhalation bronchique et de s’assurer de son bon positionnement à l’aide d’un cliché thoracique.

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 10/02/2025

Cas clinique

Un patient de 70 ans est opéré pour une éventration avec pose de prothèse. Dans les suites, survient une occlusion sur bride qui entraîne une nouvelle intervention avec dépose de prothèse. Par ailleurs, ce patient présente de nombreux antécédents médicaux et chirurgicaux (HTA, myocardiopathie dilatée grave, apnée du sommeil, obésité sévère (taille 172 cm ; poids 107 kg : IMC 36,2 ; une intervention pour une ischémie mésentérique 3 ans plus tôt).

Dix ans plus tard, le patient consulte un chirurgien viscéral et digestif, car son éventration est devenue volumineuse et invalidante. Une intervention est programmée mais l’état cardio-vasculaire du patient retarde ce projet opératoire.

Un an plus tard, le patient reconsulte son chirurgien viscéral qui décrit l’éventration comme mesurant plus de vingt centimètres de diamètre, avec trois orifices sur la ligne médiane et une rétraction latérale des muscles droits. Un scanner confirme une volumineuse éventration abdominale antérieure contenant une grande partie des anses grêles et le colon transverse. Le chirurgien retient une indication opératoire malgré un risque opératoire élevé. (L’année précédente, en effet, une bioprothèse aortique a été mise en place).

L’intervention est finalement réalisée 3 mois plus tard en clinique, après plusieurs consultations cardiologiques et pour permettre une perte du poids du patient.

Selon le compte rendu opératoire : "Laparotomie médiane. Refoulement du sac péritonéal hernié dans la cavité péritonéale. Large décollement avec incisions multiples au niveau des muscles larges et de la gaine antérieure des muscles droits avant de positionner une plaque 15 x 30 cm, rétromusculaire, fixée par des points séparés. Drainage par plusieurs redons aspiratifs".

Quelques jours plus tard, transfert en réanimation du fait de l’aggravation de la situation respiratoire. Sous ventilation non invasive, saturation à 90 % avec fréquence respiratoire à 38/min, PA correcte. Température à 36,9°C. À l’entrée, le bilan biologique retrouve un taux de protéine C réactive (CRP) à 394 mg/L, entraînant la mise en route d'une antibiothérapie (Tazocilline®).

Le même jour, un scanner abdominothoracique met en évidence des troubles ventilatoires au niveau des deux plages pulmonaires ainsi qu’une infiltration mixte hydroaérique au niveau de la paroi abdominale, avec une collection paramédiane droite de 10 cm de grand axe. 

Aggravation de l’état respiratoire nécessitant l’intubation du patient. Ajout d’Amiklin®.

Scanner abdominal : lame de pneumopéritoine péri-hépatique et collection au niveau de la paroi abdominale antérieure, en particulier hypogastrique paramédiane droite. Procalcitonine 15,77 µg/L.

Devant un doute infectieux, et après discussion avec les réanimateurs, reprise du patient au bloc opératoire. La mini laparotomie ne retrouve pas de complication intra-péritonéale et les prélèvements bactériologiques se révéleront négatifs. 

À un mois, après une évolution lentement favorable, patient apyrétique, ventre souple avec reprise du transit et quelques selles, l’alimentation orale était progressivement reprise. Retour du patient en unité de soins continus.

Au début du mois suivant, douleurs et hématome apparaissant au niveau de la paroi abdominale lors d’un effort de lever. Le scanner abdominal montre un volumineux hématome pariétal abdominal estimé à environ 1,5 litre (patient sous Lovenox® 6 000 UI/j), Hb 8,6 g/L. Transfusion de plusieurs culots globulaires. Reprise postopératoire : "(…). Très volumineux hématome pariétal. Absence de saignement actif. Évacuation des caillots. Mise en place d’un drainage aspiratif. Prélèvements bactériologiques (revenus négatifs)".

Reprise progressive de l’alimentation avec reprise du transit (selles liquides). Ablation des drains aspiratifs. Mais des vomissements surviennent, répétés à 3 reprises dans la journée. 

À 13 heures, visite du chirurgien : prescription de Zophren® (antivomitif). Pose d’une sonde gastrique envisagée mais finalement non posée après discussion avec le patient. 

À 17 heures, contre-visite du chirurgien : prescription de Primpéran®. Apparemment nouvelle évocation de la nécessité de la pose d’une sonde gastrique, pourtant non mise en place. 

Vers 18 h 30 (d’après la fille du patient présente dans la chambre), vomissements très abondants et répétés. Appel de l’infirmière (IDE) qui se veut rassurante, expliquant qu’il fallait attendre l’efficacité des médicaments injectés.

Le lendemain, le patient présente une succession de nausées, de hoquet en continu, de sueurs, de vomissements ++ avec un abdomen tendu. Passage du chirurgien qui évoque la pose d’une sonde gastrique.

Le patient est finalement, après quelques périodes où il se sent mieux, retrouvé en fin d’après-midi au sol en arrêt cardiorespiratoire au milieu d’importantes vomissures. 

Des manœuvres de réanimation cardiorespiratoires permettent de récupérer une activité cardiaque. Il est transféré en réanimation, intubé, sédaté, curarisé, en état d’instabilité hémodynamique justifiant l’utilisation d’amines pressives.

Lors des manœuvres de réanimation, mise en évidence dans la bouche du patient mais aussi au niveau des bronches d’un liquide important provenant du tube digestif ayant le même aspect que celui récupéré par la sonde naso-gastrique mise en place.

Le scanner thoraco-abdominal montre des condensations parenchymateuses pulmonaires bilatérales des bases avec occlusion intestinale "sur adhérences péri-ombilicales" avec importante dilatation de l’estomac et des anses grêles.

Une sonde gastrique (en siphonnage) produit 620 ml et réintervention est entreprise "Épanchement péritonéal (prélèvement bactériologique). Adhésiolyse des anses grêles sans mise en évidence de facteur localisé de strangulation. Résection du sac péritonéal qui avait été simplement refoulé lors des interventions précédentes. Fermeture de la paroi. Nouveau drainage local". Sur la fiche d’anesthésie : vidange gastrique 2 800 ml.

Malgré la poursuite de la réanimation avec hémofiltration continue, absence d’amélioration de l’état neurologique du patient, confirmée par l’ EEG.

Après consultation de la famille, décision d’arrêt de toute réanimation. Décès du patient.

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par les ayants droit du patient pour obtenir réparation des préjudices subis. 

Expertise (mars 2023)

Pour les experts, l’un chirurgien viscéral, exerçant en libéral et l’autre, praticien hospitalier, infectiologue :

"(…) La cause du décès est une anoxie cérébrale importante, irréversible, survenue dans les suites d’une importante inondation trachéo-bronchique du fait de vomissements profus chez un patient présentant un syndrome occlusif au décours de la cure d’une importante éventration abdominale.

Concernant le chirurgien

Le diagnostic de la pathologie dont souffrait le patient et sa proposition thérapeutique ont été faites dans les règles de l’art. Il en est de même de l’information donnée sur les suites opératoires. La réalisation de l’intervention initiale n’appelle pas de commentaires. 

La première réintervention sera sollicitée par les anesthésistes-réanimateurs devant la suspicion d’une possible complication infectieuse intra-abdominale, qui ne sera pas confirmée.

La seconde sera en rapport avec un volumineux hématome abdominal après un effort de lever.

L’explication probable : chute d’escarre au niveau d’une coagulation vasculaire. On peut éliminer, sans problème, un surdosage des anticoagulants prescrits à titre préventif. L’incident peut être considéré comme un accident non fautif.

C’est surtout au cours des deux dernières journées que l’on peut critiquer l’attitude de l’opérateur. 

Alors qu’en connaissance de cause, il pressentait chez le patient la probabilité d’un syndrome occlusif en voie d’installation, il a tergiversé avant de positionner une sonde nasogastrique destinée à assurer, en continu et temporairement, la vidange du haut-appareil digestif, en attendant une éventuelle nouvelle solution chirurgicale en fonction de données iconographiques qui cependant n’ont pas été demandées.

Lors de l’expertise, l’opérateur a honnêtement reconnu qu’il aurait dû positionner une telle sonde au plus tard après sa contre-visite. De plus, il n’a été retrouvé dans le dossier aucune prescription écrite de sa part, préconisant de le rappeler en cas de poursuite des vomissements.

Concernant la clinique

Lors de la journée cruciale, les observations écrites par les infirmières dans le dossier sont soit absentes, (non mention des vomissements profus dans la soirée en présence de la fille du patient), soit sommaires ne mentionnant que l’existence de ces vomissements et leur importance par un symbole (+++).

La répétition et l’importance de ces vomissements dans la soirée, après la contre-visite du chirurgien, ne lui ont pas été communiquées, ne lui permettant pas de reconsidérer sa position de temporiser avant la mise en place d’une sonde nasogastrique. En outre, on ne trouve aucune mention de la suppression de toute alimentation chez le patient avec compensation par des apports intraveineux et pire, apparemment, le matin du jour crucial, un petit déjeuner lui a été apporté, le patient l’ayant absorbé sans le rejeter rapidement.

Mais l’amélioration temporaire s’explique vraisemblablement, par le fait que l’importance massive des vomissements ait vidé, pour un temps, la poche gastrique. La persistance du syndrome occlusif l’a, à nouveau, remplie de liquide de stase. L’abdomen a été décrit, plusieurs fois, comme tendu. Dès lors, les vomissements profus vont se reproduire, entraînant, cette fois-ci, chez un patient assis dans son fauteuil et seul dans sa chambre, une inhalation massive dans les voies respiratoires.

Le caractère anormal de ces vomissements, de par leur répétition et leur abondance a échappé au personnel paramédical chargé de la surveillance du patient au point de les signaler, de façon souvent sommaire, dans le dossier sans en informer le chirurgien après son départ de l’établissement.

Conclusion générale 

Le seul geste "thérapeutique" susceptible d’éviter ce qui s’est passé et d’éviter le décès du patient, était la mise en place d’une sonde nasogastrique destinée à vider le contenu de la poche gastrique du liquide de stase produit par une hypersécrétion digestive, du fait d’un élément occlusif siégeant sur les anses grêles (quel qu’en soit le mécanisme).

Certes, le geste était très désagréable pour le patient qui gardait un mauvais souvenir des épisodes identiques dans le passé. Son intérêt a bien été évoqué avec le patient mais, de fait, la sonde nasogastrique n’a pas été posée. Par ailleurs, il ne suffit pas de poser une sonde nasogastrique, encore faut-il s’assurer de son positionnement (à l’aide d’un cliché thoracique) et surtout, il ne faut pas la laisser en siphonage, mais accélérer la vidange gastrique par une aspiration à la seringue, suivie d’une aspiration douce (pour éviter tout ventousage sur la paroi).

L’état occlusif était patent, et il ne s’agissait pas d’un "banal" iléus réflexe fréquemment rencontré en postopératoire chez les multi-opérés de l’abdomen. Le chirurgien aurait pu s’en assurer plus tôt en demandant un scanner abdominal sans injection, voire une simple radiographie d’abdomen, debout et couché. Cela lui aurait permis de lever ses doutes éventuels et l’aider à emporter l’adhésion du patient.

Même si la pose d’une sonde nasogastrique peut entrainer des vomissements, ceux-ci se seraient produits en présence d’un personnel médical et/ou paramédical qui aurait réagi immédiatement et aurait évité la complication à l’origine du décès du patient.

Il est proposé un partage des responsabilités de l’ordre de 75 % pour le chirurgien et 25 % pour la clinique employeur du personnel infirmier (…)".

Avis de la CCI (mai 2023)

Pour la Commission : 

"(..) Les manquements fautifs du chirurgien sont à l’origine exclusive du décès du patient. Seule sa responsabilité pour faute doit être engagée en tant que médecin responsable du patient et seul détenteur de la décision médicale.

Il appartient à l'assureur du chirurgien d’adresser une offre d'indemnisation aux ayants droit du patient (…)".

Commentaires

Commentaire 1

"Toutefois conformément à la loi du 4 mars 2002 ; c’est la décision du patient qui doit finalement être respectée".[1]

Commentaire 2

L’observation publiée est le troisième cas clinique, en un an, où un patient chez lequel le diagnostic d’occlusion intestinale aiguë était présumé, décède des suites d’une inondation bronchique lors de vomissements, en l’absence de pose d’une sonde naso-gastrique pour vider le contenu intestinal.

Dans le premier cas publié, l’accident est survenu chez une patiente admise aux urgences pour occlusion intestinale aiguë. Le scanner abdominal était normal mais le scanner thoracique révélait une hernie de l’estomac qui était passé dans le thorax à la suite d’une plaie diaphragmatique lors d’une intervention abdominale "difficile", 6 mois auparavant. L’urgentiste, apparemment, n’avait pas su interpréter correctement le compte-rendu du radiologue (à vrai dire, peu explicite), et avait fait hospitaliser la patiente en… cardiologie. Le lendemain matin, la patiente était retrouvée en arrêt respiratoire, dans son lit. Elle décédera malgré la réanimation immédiatement entreprise. La sonde naso-gastrique ramènera 1 750 ml de liquide fécaloïde.[2].

Dans le deuxième cas, il s’agissait d’un patient admis aux urgences, pour un syndrome abdominal aigu avec nausées et déshydratation. Un scanner abdominal était immédiatement pratiqué. À la fin de cet examen en faveur d’une occlusion par bride grêlique, et alors que la gazométrie était normale lors de l’admission, le patient était retrouvé en insuffisance respiratoire (SpO2 84 %). L’anesthésiste, immédiatement appelé, concluait à une probable inhalation bronchique à bas bruit. Une décision opératoire était prise en urgence. Le patient décédait dans les 24 heures suivant l’intervention (volume du liquide gastrique retiré : 3 000 ml).[3]

Ces 3 cas justifient devant tout syndrome abdominal aigu évoquant une occlusion intestinale, notamment en cas de nausées et/ou vomissements spontanés ou provoqués, de poser, en priorité, une sonde naso-gastrique pour éviter toute inhalation bronchique aux conséquences dramatiques. Il convient de s’assurer, comme le recommandent les experts de cette observation, "de son positionnement (à l’aide d’un cliché thoracique) et surtout, de ne pas la laisser en siphonage, mais d’accélérer la vidange gastrique par une aspiration à la seringue, suivie d’une aspiration douce (pour éviter tout ventousage sur la paroi)".

Références

[1] Péritonite par perforation confirmée par scanner abdominal - C. Sicot - Site La Prévention Médicale 11/12/2024
[2] Tableau d’occlusion intestinale à ventre souple : hernie diaphragmatique post-traumatique (estomac intra-thoracique). C. Sicot - Site La Prévention Médicale 08/12/2023
[3] Inhalation bronchique lors d’un scanner pour syndrome abdominal aigu. C. Sicot - Site La Prévention Médicale 12/04/2024

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